Les fils de Djangar

Immense, plat, vide. C’est un visage farouche que celui de la Kalmoukie. Et singulier, comme son peuple, à peine 300 000, qui occupe cette république russe grande comme la Belgique et la Suisse réunies.
Steppe : « là où il n’y a rien »…
On s’étonne à peine de voir ces descendants mongols, fiers, guerriers, anciennement nomades, occuper ce territoire rude du Nord Caucase, si loin de leurs racines.
L’histoire de ce peuple est empreinte d’antagonismes, entre déplacements perpétuels et racines inaltérables. Ils se revendiquent Oïrats, tout comme leurs lointains frères de Chine, mais ont été désignés kalmouk, qui signifierait « ceux qui sont partis » ou « ceux qui sont restés » …
Ils s’établissent entre le Terek et la Volga au XVIIème, et la République de Kalmoukie est proclamée en 1935. Mais, entre le 27 et le 30 décembre 1943, Staline ordonne la déportation de la quasi totalité de ce peuple vers la Sibérie. Un territoire entier vidé de sa population, pendant 13 années… A la libération, les rescapés retournent vers ces steppes, dont la rudesse et l’espace ressemblent tant à la terre de leurs ancêtres.
Seul peuple bouddhiste d’Europe, les Kalmouks ont reçu le Dalaï Lama, quelques heures très diplomatiquement négociées, et des moines de Dharamsala viennent régulièrement approfondir les enseignements de cette philosophie.
La tolérance religieuse semble ici une force immuable, comme le lit serein d’une rivière aux portes du Caucase bouillonnant…
Si depuis la Grande Déportation, près de la moitié de la population est aujourd’hui russe, la culture kalmouke est néanmoins vivante et s’est même affirmée après ce traumatisme.
Le juste réformé –et très polémique- président Kirsan Ilioumjinov a milité pour cette renaissance. La langue et la culture kalmoukes sont désormais bien présentes, notamment dans les medias.
Kirsan a fait ériger, au centre de sa petite capitale, le plus grand temple bouddhiste d’Europe et a désenclavé la région en construisant des routes.
Il voyait les choses en grand pour cette terre isolée, mais riche en gaz et pétrole: construction d’un cosmodrome, de studios de cinéma, d’un port, « le nouveau Koweit»... projets démesurés et avortés. Il aura tout de même fait construire City Chess, quartier flambant neuf dédié aux échecs, qui se délabre doucement de solitude…
Aujourd’hui, cette province agraire est ruinée et très dépendante du Kremlin. Des territoires ont été rendus complètement infertiles suite à des essais nucléaires et aux politiques de surproductions. Le chômage est 3 fois supérieur à la moyenne russe et parallèlement, les habitants doivent faire face à un déficit démographique qui s’est accentué sous la présidence de Kirsan. Pour le combler, c’est vers la Dzoungarie, en Chine, et le Nord Tibet, peuplés de mongols, de frères Oïrats, que le gouvernement se tourne.
Les Kalmouks sont une excentricité culturelle dans cette Europe.
Le brassage avec le peuple russe au cours des siècles n’a jamais rompu les liens avec la terre du mythique héro Djangar.
Cette communauté semble former bien plus qu’une entité culturelle. Ils célèbrent ensemble leurs anniversaires, lors du nouvel an kalmouk, symbolisant ainsi la pensée d’être un tout, hommes et environnement.
Ils croient en une renaissance, à l’image du lotus blanc, emblème de leur nation et qui chaque été, éclos sur les côtes de la Caspienne, et nul autre part ailleurs en Europe…